Aborder le fait religieux à l’école
Aborder le fait religieux, c’est une autre façon de s’inscrire dans le respect de la laïcité. Si depuis ses origines, en enterrant ses morts, l’homme croit à l’immortalité de l’âme, et donc quelque part en l’existence d’une entité qui le dépasse, il y a des pensées qui se passent de Dieu , il n’est qu’à voir la proportion d’athéisme en France (34 % de non religieux et 29 % de athées en 2012) pour s’en convaincre…
Si l’on considère cela, aborder le fait religieux, c’est aussi évoquer l’athéisme.
La question qui se pose est avant tout comment aborder le fait religieux, par qui et avec qui ? Il sera tout d’abord nécessaire de mettre en œuvre des approches pédagogiques dynamiques et non pas figées à une simple visite de l’histoire. L’évolution de ces religions, leur apparition et leurs divisions ne manquent pas d’intérêt, cette évolution participe de l’évolution des cultures et des constructions sociales des peuples, mais cela ne suffit pas et s’avère même rapidement assez réducteur.
Avec qui ? On ne peut pas prendre le risque que l’école dans la république (il est intéressant de noter la nuance avec l’école de la république) devienne un lieu d’endoctrinement ou de manipulation, aussi les intervenant devront adopter une posture de neutralité, et il serait souhaitable que hormis cas exceptionnels (témoignage d’un missionnaire sur les difficultés de tel ou tel territoire…) les religieux,quelle que soit leur religion, soient tenus à l’écart des salles de classe.
Tout d’abord, aborder le fait religieux ne doit pas être la prérogative exclusive du professeur de philosophie ou d’histoire, mais au contraire devrait faire l’objet d’une approche interdisciplinaire en fonction de la problématique sociétale ou scientifique abordée.
Si l’on se réfère à des grands thèmes qui peuvent être clivants, ou en tout cas soulever des contradictions en fonction de la pensée dominante culturelle ou scientifique d’une part et la croyance de l’individu d’autre part, il est important que le pédagogue à ce moment précis puisse éclairer – c’est son rôle essentiel – les visions des uns et des autres. Les problèmes viennent souvent du fait que les personnes méconnaissent leur propre religion, et à fortiori celle des autres, quand ils n’ont pas tout simplement des idées préconçues ou des préjugés sur ces religions.
Environnement, bienêtre animal, finance, mariage, filiation, fin de vie, rapport au pouvoir, égalité homme femme, contraception…Autant de thématiques qui peuvent soulever des incompréhensions, et parfois des conflits entre élèves. Il est important à ce moment-là que l’enseignant soit en mesure de « poser » le débat en apportant un éclairage minimum sur les positions courantes des diverses religions sur les thématiques abordées. L’apprenant verra dans ces cas-là que ces positions sont souvent très proches quand elles ne sont pas tout simplement identiques …Des outils pédagogiques simples et dynamiques peuvent enrichir ces moments : théâtre forum, débats mouvants, ….)
Blaise Pascal, comme saint Augustin avant lui, nous enseignent que dès lors que la science et la religion se confrontent, il est nécessaire d’établir un dialogue entre les deux. L’approche scientifique est empirique et évolutive, la religion est dogmatique et suppose une adhésion, et la culture de l’individu se construit sur ces socles.
Mais cette question du fait religieux, et donc du renforcement de l’appartenance d’un individu à une société laïque et multiculturelle en soulève d’autres que devraient avoir à l’esprit les pédagogues et ceux qui conçoivent les programmes.
Quelle place fait-on aux cultures étrangères en général, par rapport à la culture de référence ?
Quelle place fait-on à la culture des enfants étrangers présents dans l’école ?
Quelle place fait-on aux cultures qui ne sont pas celles du ou des groupes dominants ?
Quelle place fait-on aux croyances religieuses ou aux positions philosophiques autres que celles du ou des groupes dominants ?
La culture majoritaire est une culture particulière : la vie quotidienne institutionnelle, politique, scolaire comprend toujours de multiples et infimes dimensions « culturelles » (la langue d’usage, les matières et les manières, les jours de fête, les menus de la cantine…) qui n’ont rien d’universel [1]
En quoi la laïcité, garante du libre exercice par chacun de sa religion aide-t-elle à penser la cohabitation des cultures dans notre monde contemporain ?
Dans une république laïque, multiculturelle et multi cultuelle, vouloir faire coïncider croyances morales particulières d’une société et règles universelles comme au temps de Jules FERRY est difficilement conciliable avec les idéaux et les difficultés d’une démocratie plurielle et démocratique.
Si l’on rapproche cette question de l’idéal laïque que prônent les franc-maçons, certains chercheurs les rejoignent en mettant en avant le fait qu’il y a une différence de valeur entre la culture (dominante) et les cultures (périphériques) ce qui complique l’intégration des divers groupes culturels autour du bien commun.
Si elle ne se penche pas sur ces questions de la différence entre culture et cultures, l’école restera largement hostile non seulement aux religions mais plus largement aux cultures ; et ce sont les élèves, citoyens de demain, qui en feront les frais.
[1]Will Kymlicka, né en 1962 à London en Ontario, est un philosophe canadien, docteur en philosophie de l’université d’Oxford. Il a acquis une réputation surtout par son travail sur le multiculturalisme.